Histoire de fesse par Gé ou comment en arriver à parler de Rhododendron catawbiense à l’heure de l’apéro.

Boire une bière« Mon bon maître ! T’as vu ? Y font un concours dans Los Cuardernos.

 – Un concours de quoi ?

– Un concours de mots… Mon bon maître. Toi qu’es cruso… euh ! …c-r-u-c-i-v-e-r-b-a-l-e, ça t’irait comme un gant de laine. Non ?

– Verbiste ! Cruciverbiste ! C’est simple à retenir pourtant. C’est comme Y a Ka dans Kayak… ou clafoutis dans… catafalque. Parle de quoi ce concours ?

– J’ai pas tout compris… Faut que ça parle de… de fesse ! Mon bon m…

– Oh ! Oh ! Ne dis pas toujours mon bon maître… C’est banal à force d’être lassant. De fesses dis-tu ? Diable ! Z’auraient changé de style à Los Cuardernos ?

– En fait, c’est ça le concours… Il faut citer des mots et que ça s’enchaîne pour faire une histoire.

– Oui, je vois c’est un peu comme pour les comptines… Humm !  …Tu as tort – et la tortue – et là tu meurs – et l’amertume -et le, la,…. je ne sais plus.

– Ouuui ! Ça doit être ça mon… camarade. Tiens la liste des mots.

Fesse – échecs – caravane – crapaud – couettes – bronches – aubergine – thermostat – wagon – terrain.

– Hummm ! C’est éclectique tic et tic et tac… et technique avec thermostat !

– Technique ? On en pose tous les jours nous des thermostats…

– Oui, mais c’est nous ; nous on connaît… Pour eux : c’est technique, voire technologique… Fesse et échecs pas facile à marier … Fesse sans échecs non plus… Mais… attend, on peut faire :
‘ La caravane du Cheikh de Fez – ‘fesse-de-crapaud’ le bien-nommé – , ce crapaud sans fesse donc, roulé, boulé sous ses couettes, les bronches gonflées d’orgueil et la tête tout aussi comme une aubergine, une pastèque naine même, jouant son terrain, sa terre et le terrain des pères de ses pères aux échecs, cette antique caravane dis-je, s’ébranla lentement, comme un wagon poussif au rythme d’un thermostat haletant. Elle fût dans le désert le soir venant et pendant quarante nuits …’

– C’est pas mal, mais thermostat haletant ? C’est pas bien clair.

– C’est technique, c’est pour ça… T’as jamais pris le train l’hiver ? Quand il fait froid, chaud, froid et que le thermostat est détraqué ? Et bien tu comprends vite le terme. Tu l’assimiles même instantanément.

– Oui, mais… Le Cheikh qui joue aux échecs… Les échecs, le Cheikh, c’est…

– Et alors ? Tu préférerais le scrabble ? Je veux bien, mais c’est pas dans la liste.

– Crapaud sans fesse… sent l’injure pas loin… non ?

– Je ne peux pas te dire. C’est la première fois que j’utilise cette expression… C’est bien mignon quand même. Je la classerais comme injure passe-partout. Injure du dimanche si tu veux, comme celui qu’a un costume du dimanche et des habits normaux pour les autres jours… Il s’en sert occasionnellement. C’est pas bien méchant, c’est propre sur soi  et puis c’est zoologique.

– Et les bronches ? Ça gonfle comme l’aubergine, les bronches ?

– Y a pas qu’ l’aubergine crois-en mon expérience de la vie et des hommes. C’est une image, un peu simplette certes, pour décrire qu’il est bouffi d’orgueil le frère Cheikh. Tu comprends ? Il est Cheikh, alors il est nanti, plein de provisions, il est puissant… et puis, c’est comme ça. On dit bien ‘une tête comme une citrouille’. T’as déjà vu des types avec des têtes de citrouille ? D’autres têtes certes,  mais citrouille… pas probable. Et toi si tu dis : ‘ j’ai la tête comme une marmite’,  ça ne veut pas dire ‘j’ai un auto-cuiseur à la place de la tête’ … non c’est une image, je pourrais en citer un wagon… et un train de wagons. Citrouille, aubergine, marmite… Je ne sais plus où j’en suis…
Ah oui ! Les bronches ! Alors pourquoi pas les bronches en forme d’aubergine ? Il y a bien des pieds d’asperges ou de tomates… je sais plus quoi. De toute façon on va pas le passer au scanner…

– Hé ! Reste les couettes ; c’est pas un peu chaud dans le désert les couettes ? J’en ai vu à la télé, c’est drôlement costaud… la laine polaire surtout… Ça risque de rendre l’histoire un peu… grotesque non ?

– Qui te parle d’histoire ? Allez fini ton verre… Y a encore du boulot !
Et on n’est pas rendu. L’vieux crapaud vielleux a encore bigophoné. Craint pas les échecs lui. Renonce pas. Ça fait dix fois que le thermostat de l’espèce de wagon qui lui sert de caravane claque mais il ne baisse pas les bras – faut réparer.

– Ça fait du boulot…

 – Remarque, il a les bronches solides le père ; et y en a pas deux comme lui dans l’horticulture… Chez lui, le terrain est tellement bourbeux qu’même l’aubergine elle demande à pas pousser. Et lui, va que j’m’obstine, à chérir mes rhododendrons (Rhododendron catawbiense – nda), mes capucines… Mais bon, c’est l’boss… On va pas le contrarier. T’as vu sa baraque ? C’est du lourd et y a d’ la pesete…

 – Tu crois pas qu’y doit s’en passer des belles sous les couettes justement ? Y paraîtrait même que la marquise – si l’crapaud il a pas de fesse, elle en revanche l’aurait… comment dire…

 – Comme la conscience tu veux dire ? Légère ? Moi je n’y crois pas. C’est ce qu’on dit, c’est vrai,  mais c’est la rumeur. Urban Legend en anglais…
T’as fini ? T’en veux un autre avant la route ?… Sûr ? Bien sûr ? Ça va pas te manquer ? J’insiste pas. Hé ! Gérard ! Mets sur mon compte. Merci.  Salut on y va. »

tabourets de bar


Publié avec l’accord de Gérard : merci Gé pour cette histoire envoyée dans le cadre du premier défi d’écriture.
Photo : CC0 Pixabay

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