Je suis un crapaud fou et j’en suis très heureuse. Non je n’ai pas perdu la tête. Je vais vous expliquer cette histoire de crapauds fous. Il sera question d’aller à contre-courant, d’être anti conformiste, de chercher des solutions, de voir les choses et le monde autrement. Le monde traverse une crise sans précédent : sociale, économique, politique, écologique. Nos petites et grandes activités humaines sont intimement liées à notre cadre de vie, même si certains responsables politiques l’ignorent ou feignent de l’ignorer par intérêts personnels à court terme.
C’est quoi un crapaud fou ?
Les crapauds sont des animaux migrateurs. Ils sont fidèles à l’endroit où ils sont nés. En effet, lorsqu’ils sont jeunes les crapauds quittent le point de d’eau où ils ont vu le jour pour se trouver un lieu de séjour estival où ils passeront l’essentiel de leur temps à manger toutes sortes d’insectes et de petits animaux. A ce titre d’ailleurs, les crapauds sont des auxiliaires du jardin qu’il convient de protéger. Lorsque vient l’hiver ils se trouvent un lieu d’hivernage à proximité de leur point d’eau natal. Dans un abri anti-gel, ils attendent patiemment l’arrivée du printemps en ne faisant que quelques sorties par temps doux. Lorsque le printemps pointe son nez les crapauds se rassemblent en masse pour rejoindre le lieu de leur naissance afin de s’y reproduire. Il n’est pas rare de voir alors de nombreux batraciens écrasés sur les routes. C’est là qu’interviennent les crapauds fous ! Les crapauds fous ne sont pas si fous qu’ils peuvent en avoir l’air. Au lieu de suivre le mouvement général, ils empruntent d’autres voies. Pour d’obscures raisons, soit ils partent à contre-sens, soit ils empruntent les tunnels mis à leur disposition sous les routes dans certaines régions. Ce comportement atypique leur permet de ne pas être écrasé et participe à la sauvegarde de l’espèce. Si on les qualifie de fous c’est simplement parce qu’ils se comportent différemment des autres.
La différence est souvent mal vue
Être différent n’est pas facile. Presque tous ceux qui ont une différence physique, culturelle ou idéologique l’ont expérimenté. La plupart de celles qui ne se comportent pas selon la norme sociale établie sont au mieux observées au pire vilipendées. Toutes celles et ceux qui ont un jour remis en cause des dogmes ou des doxas se sont vu isolés, critiqués ou dénigrés. Certains crapauds fous comme Marie Curie ou Albert Einstein ont laissé leurs noms dans nos mémoires. Les génies sont aussi des crapauds fous. Ce sont des personnes qui voient ce que les autres ne voient pas encore et c’est en ce sens qu’ils ont un rôle à jouer dans la préservation de l’espèce. Les individus en groupe ont un comportement spécifique au groupe dans lequel ils sont inclus. En témoigne l’expérience du psychologue Solomon Asch publiée en 1951.
Dans cette expérience, un groupe de six étudiants est soumis à un soi-disant test de perception visuelle. En réalité il s’agit d’une étude de comportement sous l’effet de la pression sociale. Dans ce groupe, cinq étudiants sont complices de l’expérimentateur et un seul est un « naïf ». Le test présente une série de posters avec des lignes verticales. Sur chaque poster, il y a une ligne verticale sur la partie gauche et trois lignes verticales parallèles de longueurs différentes sur la partie droite, et l’une de ces trois lignes est de même longueur que celle représentée sur la partie gauche. Il est demandé pour chaque poster d’indiquer laquelle des trois lignes de droite est de même longueur que la ligne de gauche. Les différences sont visibles aisément. Les cinq complices ont pour consigne de donner d’abord des bonnes réponses. Dans ce cas, le sujet « naïf » se comporte comme le groupe et donne les bonnes réponses. Puis les complices doivent donner de manière unanime la même mauvaise réponse. Après des hésitations, le sujet « naïf » finit par se conformer au groupe et donne aussi une mauvaise réponse dans plus de 30 % des cas. Son comportement change sous la pression du groupe.
Résister à la pression sociale
La résistance de l’individu à la pression dépend, de sa confiance en lui mais aussi du nombre de personnes qui soutiennent une réponse contraire. Elle dépend aussi du fait d’avoir ou non un allié (une personne qui pense comme lui) et du fait d’avoir à répondre à l’oral (et donc d’être soumis au jugement immédiat des autres) ou par écrit (le conformisme tombe alors autour de 5%). Les « naïfs » interrogés après coup témoignent pour certains de leur anxiété, de leur confusion et de leur malaise lors de l’expérience. De même la plupart attribuent leur erreur à une « mauvaise vue » ou se déchargent de leur responsabilité sur l’expérimentateur. En d’autres termes le « naïf » adopte l’opinion du groupe mais se défend d’en être responsable. Nous sommes des êtres sociaux et le conformisme est un moyen d’appartenir à la famille humaine. Cependant, si le conformisme présente un avantage identitaire il peut aussi parfois être dangereux et conduire au désastre. Si une autoroute est construite sur le trajet de migration des crapauds et que tous les crapauds se conforment à leur trajet originel, ils sont condamnés à disparaître. A moins de s’en remettre aux quelques anti-conformistes qui auront décidé d’emprunter un autre chemin. Ceux-là seront peut-être moqués mais ce ne sont pas les moqueurs qui survivront et surtout, l’espèce sera sauvée par ceux qui auront choisi de s’écarter de la route habituelle. Cela me rappelle aussi l’histoire des nénuphars sur l’étang. Des nénuphars dont la population double chaque jour. Les crapauds qui s’inquiéteront du fait que la moitié de l’étang est recouvert seront taxés de cassandres. Ça fait des mois que ça a commencé, on a le temps de voir venir… Alors que le lendemain l’étang sera complètement recouvert. Pas facile de conserver sa ligne de conduite lorsqu’elle diffère de la masse. Pourtant, la vérité est exclusive par nature.
Les crapauds fous courent dans tous les sens
Le conformisme c’est aussi le risque de diluer les responsabilités. Je ne peux pas changer le monde. Pourtant, le monde actuel est le résultat de ce que chacun en fait ; donc notre responsabilité individuelle est immense. Commencer à s’interroger sur le pourquoi de certaines choses, c’est commencer à attraper un petit grain de folie. Cette folie des crapauds qui n’est qu’apparente et qui permet la survie. Dans notre monde en crise, les dangers qui nous menacent sont réels. Les nénuphars nous envahissent mais il y a de plus en plus de crapauds qui lancent l’alerte. Non contents de lancer l’alerte, ils agissent. Ils commencent quelque chose pour aller vers d’autres voies. Quelque chose pour aller vers un monde durable, respectueux des êtres vivants et harmonieux. Cela passe par l’intelligence collective. Ainsi naissent des initiatives, comme autant de crapauds fous qui courent vers d’autres voies. La survie de notre espèce sur cette planète passe par un changement de comportements.
C’est peut-être par ces multiples initiatives que le comportement global pourrait se modifier. Laissons s’exprimer les crapauds fous et les initiatives collaboratives (pêle-mêle et sans aucune exhaustivité je pense aux logiciels et applications en open source, aux plates-formes de covoiturage, aux jardins partagés, aux Incroyables Comestibles, aux Repair Cafés, aux Systèmes d’Echanges Locaux (SEL), aux Associations pour le Maintient d’une Agriculture Paysanne (AMAP), aux multitudes d’associations qui œuvrent pour un monde meilleur…).
Les crapauds fous sont de plus en plus nombreux et c’est tant mieux. Il en va de notre responsabilité individuelle.
Comment je vis ?
Comment je consomme ?
Quel est mon impact sur la planète ?
Quelle est ma pression sur les ressources naturelles ?
Commencer à se poser ces questions c’est déjà sortir du rang. Commencer à changer une chose, puis une autre, puis encore une autre c’est avancer vers une autre voie. Il n’y a pas ceux qui font quelque chose d’un côté et ceux qui ne font rien de l’autre. Non. Il y a nous tous qui sommes embarqués sur une sphère bleue et verte perdue dans l’immensité de l’espace. Tous embarqués sur le même navire, tous concernés. Arrêter de se laisser assommer par les mauvaises nouvelles distillées par les médias pour avoir le cerveau disponible à d’autres choses. Des choses qui changeront nos vies dans cinq ans. Je reviendrai vous parler de ce que j’ai changé. Je n’ai pas la prétention de vous dire ce qui est bien ou pas. J’ai seulement envie de témoigner et de chanter avec les autres crapauds fous. Je ne suis pas un génie, je suis juste un crapaud lambda qui s’interroge et je suis prête à suivre les crapauds fous que je croise. J’ai confiance dans la capacité des humains à trouver les solutions qui permettront de vivre un avenir meilleur. L’espoir réside dans la folie batracienne !
Posez-vous des questions, soyez curieux, vous avez des ressources insoupçonnées !
Prenez soin de vous,
Isabelle.
Photos et dessin : CC0 Pixabay
Pour aller plus loin :
Le cercle de réflexion des crapauds fous
Neurosciences : comment pensent les anticonformistes ? – The Conversation 25 février 2018
Bonjour Isabelle, Je fais partie de la bande des Crapauds Fou, et je viens vers vous en toute bienveillance. Les « Crapauds Fous » est une aventure qui a commencé en octobre 2016. Thanh Nghiem, Cédric Villani et Florent Massot, décident d’écrire le Manifeste du « Crapaud fou ». Face aux tsunamis planétaire (écolo, démocratique et big-data), il faut provoquer un déclic, provoquer une prise de conscience et donner des clés pour que chacun puisse devenir acteur de ce nouveau monde qui arrive. Le travail est intérieur autant qu’extérieur. crapaud-fou.org/manifeste_du_crapaud/ Aujourd’hui, nous avons un chat (la Mare) qui regroupe plusieurs milliers de Crapauds Fous,… Lire la suite »
Merci Alain pour votre témoignage.
Blabla…d’un crapaud fou, puissance X….un félé si Tu préfères…. » heureux sont les félés ,ils laissent passé la lumière »..je ne sais pas à qui on attribut cette réalité MAIS je l’ai fait mienne depuis plus de 25 ans, en Allant voir ce qui se construisait comme utopie à Auroville ( banlieue de pondicherry, Tamil nadu, India). Ton « approche « est sympa MAIS restreinte a une analyse purement PSY, voire PHILO…..il vient un moment ou il faut sortir la tête de l’eau » croupie, Chère crapote » et monter à l’étage du dessus …osons le terme si il ne te fou pas la trouille …LE… Lire la suite »
Merci pour la leçon de blabla. Je n’ai jamais donné d’interview à Thinkerview. 🙂
Sacré égo!! Je suis d’accord avec vous! Oui les crapauds fous mais, ils n’arrivent pas à sauver les autres et sans les autres, l’espèce sera anéanti pensent les bons gens. Mais en réalité, seul les plus fort survivront et de là l’évolution sera.
Bonsoir Isabelle, J’espère que vous allez bien! Merci pour votre billet sur les crapauds fous que je découvre grâce à vous. J’ai d’ailleurs poussé la curiosité à lire l’article dont vous avez mis les références ci dessus (the conversation). La dernière phrase « On peut espérer que les neurosciences nous viennent en aide pour mieux repérer de tels individus et, à terme, stimuler le progrès scientifique » m’a beaucoup questionnée. L’idée qu’on nous fasse passer à tous des IRM cérébrales, pour stimuler la science ne risque-t-il pas de nous faire oublier ….la personne humaine ? Ne serions-nous que des cerveaux?… ou un… Lire la suite »
Bonjour Janet, Merci pour votre commentaire. J’aime tout particulièrement « The Conversation » parce qu’il pousse à réfléchir. Moi je vois les neurosciences comme un outil qui nous permet de mieux nous connaître et de mieux nous comprendre nous, les humains. Cependant, nous sommes la somme d’une telle complexité que je ne pense pas qu’un jour nous saurons tout de nos propres mystères. Une question à laquelle nous parvenons à répondre en soulève des dizaines d’autres et remet même en cause certaines choses que nous tenions pour acquises… Alors, je pense que nous garderons toujours une part de mystère, celle qui fait… Lire la suite »
Bonsoir Isabelle,
Merci d’avoir réenchanté la conversation grâce au mystère!
Mystère, c’est le mot qui manquait!
Bonne soirée à vous! Bien amicalement!
Janet