Histoire de timide par Isabelle ou le rendez-vous

Feuilles d'automneDepuis le lever du jour, un vent rageur arrachait les feuilles jaunies des arbres du parc voisin. Un soleil timide filtrait à travers un voile nuageux léger, renforçant l’ambiance automnale de ce samedi matin. La semaine dernière, les grues cendrées avaient survolé le quartier avec force cris et battements d’ailes, cap au sud pour échapper aux premiers frimas. Adelnas sortit sur le balcon pour évaluer la fraîcheur de l’air. Il enfonça instinctivement son cou dans ses épaules et remonta son col. Il faisait déjà froid. Il rentra prestement pour ajouter un coupe-vent à sa tenue. Il se mit à la recherche de son bonnet. Il détestait le vent qui lui taillait les oreilles en tranches. Tandis qu’il enfilait ses gants, son portable sonna quelque part, égrenant les premiers accords de guitare d’Angie. Un sourire espiègle illumina le visage d’Adelnas, ça, il savait qui c’était !

Tout en retirant ses gants, il se rua vers le canapé et fouina dans les coussins pour exhumer son portable. Il le découvrit finalement dans la poche de sa veste qu’il avait jetée sur le dossier.

Oui ?

J’avais prévu d’aller faire un peu de VTT

C’est pas un problème je peux passer te voir aussi. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Sérieux ?

Mais non ! N’appelle pas les pompiers pour ça. Je vais venir.

Je pendrai ce qu’il faut, t’inquiète.

….

Bises, à toute !

Angèle Cormier, 74 ans habitait le village voisin. Petit bout de femme rempli d’énergie et de gaieté, elle apportait le soleil à tous ceux qui la côtoyaient. Adelnas regardait en souriant son portable, comme si sa grand-mère allait en jaillir. Cela ne l’aurait pas surpris tant Angie était facétieuse. Elle était complètement hors cadre. Elle osait faire et dire des choses qu’Adelnas approuvait et admirait mais qu’il n’aurait jamais eu l’audace de dire ou de faire. C’est lui qui l’avait rebaptisée Angie. Lorsqu’il l’appelait ainsi, elle rayonnait encore plus. Elle ne lui téléphonait pas très souvent mais lorsque c’était le cas, c’était toujours extraordinaire. Aujourd’hui son chat s’était coincé dans une gaine métallique dont il n’avait pas compris pourquoi ni comment elle se trouvait dans le jardin de sa chère Mémé. Manifestement le matou n’arrivait plus à en sortir et elle voulait savoir s’il pouvait venir l’aider à récupérer son chat ou s’il fallait qu’elle appelle les pompiers pour secourir Hector.

Il arrivait souvent à Angie des histoires à dormir debout dont il n’était au courant que bien plus tard, lorsqu’elle les lui racontait au cours d’un repas commun. Elle le regardait avec intensité et commençait en disant « Au fait, je t’ai pas raconté la dernière… » Alors, Adelnas levait les yeux au ciel et disant « Non, mais je sens que tu vas le faire. Qu’est-ce qu’il t’est encore arrivé ? » A croire que sa vie passée à arpenter la planète dans tous les sens pour réaliser ses reportages lui avait laissé le besoin de vivre des situations inédites pour mettre de la saveur dans son quotidien. Alors elle racontait, mimant, faisant toutes sortes de bruitages pour agrémenter le récit. Adelnas jubilait.

Après avoir fourré son portable dans son sac à dos et remis ses gants, il s’observa d’un œil critique dans le miroir de l’entrée. Tout en embrassant le dos de sa main droite il s’adressa au reflet qui le regardait de l’autre côté du cadre :

Quel beau gosse !

Ce à quoi le reflet répondit d’un haussement de sourcil charmeur qui ne manqua pas de faire rire Adelnas. Finalement, il se disait que sa grand-mère était peut-être en train de déteindre sur lui. Sa grand-mère mais pas que… Il rejeta la tête en arrière et s’écria :

Je vous aime !

Puis il claqua la porte derrière lui et dévala l’escalier jusqu’aux garages.

L’air était plus que vif. Le bonnet fermement enfoncé sur la tête, Adelnas pédalait vigoureusement autant pour de défouler de sa semaine de travail que pour se réchauffer. Il était heureux. Heureux de sentir le picotement de l’air froid sur son visage. Heureux d’entendre le coq de la ferme du coteau qui voulait couvrir le bruit des rafales de vents avec ses cris. Heureux de sentir l’odeur d’humus qui se dégageait des sentiers du fait de la pluie de la veille. Heureux de sentir le soleil qui était sorti plus franchement maintenant. Il appréciait la chaleur des rayons sur sa figure lorsqu’il passait dans un coin abrité des bourrasques.

Cycliste sur un chemin
Adelnas sur son vélo. Si ! Si ! au fond du chemin !

Il emprunta les chemins de traverse pour rejoindre la maison de sa grand-mère. Il fit un crochet par le verger du père Eustache où quelques champignons émaillaient parfois l’herbe verte de leurs chapeaux savoureux. Dressé sur les pédales il jeta un regard circulaire et inquisiteur et repéra une petite station de coulemelles : toujours avoir un sac à dos et un couteau sur soi. Les coulemelles étaient de bonne taille, leurs chapeaux squameux se dressaient fièrement dans les broussailles en bordure du verger. Il en ramassa deux grosses et laissa les autres qui venaient à peine de sortir de terre. Il repasserait plus tard ou bien ce serait pour quelqu’un d’autre.

En débouchant sur la route il faillit entrer en collision avec la sœur de son pote Adrien. Penchée sur son vélo, elle était arrêtée juste après l’embranchement du chemin du père Eustache. Il l’aida à remettre en place la chaîne qui avait sauté tout en la taquinant gentiment sur ses compétences balbutiantes de mécanicienne vélo. Puis pour se faire pardonner, il lui dit qu’il lui ferait grâce de la facture pour cette fois et enfourcha son vélo avant qu’elle ne puisse réagir.

Encore amusé il s’arrêta devant la maison de sa grand-mère. Il sonna et elle sortit rapidement pour lui crier de venir vite parce qu’Hector était en panique. Il déposa son vélo sous l’abri-bois, retira son sac à dos et entra dans la maison en disant :

J’ai trouvé des coulemelles !

Oui c’est bien…

Elle était manifestement très préoccupée de son matou. Il prit une pince coupante dans son sac à dos et suivit Angie au jardin. Le chat miaulait comme un perdu. Il n’était pas encore adulte mais ce n’était plus un chaton pour autant. Il était un peu entre deux ; suffisamment aguerri pour partir à l’aventure mais pas assez pour se sortir de situations délicates. Angie l’avait déjà récupéré en haut d’un arbre au sommet duquel il avait réussi à monter sans se préoccuper de la manière dont il descendrait. Elle l’avait extrait du tambour de la machine à laver en début de cycle ou le malheureux explorateur avait failli périr noyé. Elle l’avait retiré du four la semaine dernière. Trouvant la température à son goût pour une bonne sieste, il s’était endormi alors que le four était resté ouvert après qu’Angie en ait sorti une délicieuse tarte aux pommes. Hector était aussi aventureux et facétieux que sa maîtresse. Ce n’était sûrement pas un hasard. À l’aide de la pince coupante Adelnas entreprit de découper précautionneusement la gaine métallique jusqu’à pouvoir libérer l’intrépide Hector. Celui-ci roulait des yeux comme des billes et s’enfuit à travers le jardin sans demander son reste.

Qu’est-ce que tu fais avec ça dans ton jardin Angie ?

C’est pour faire un truc répondit malicieusement la vieille dame. Tu verras. Encore que maintenant, je ne sais pas ce que je vais pouvoir en faire vu que tu as tout découpé avec ta pince !

Mais…

Allez je plaisante le coupa-t-elle, tu n’avais guère le choix pour récupérer mon Hector. Quelle fusée celui-là, pas moyen qu’il reste tranquille !

J’en connais une autre lança Adelnas en appuyant son propos d’un clin d’œil.

Allez zou, viens qu’on va prendre froid là.

Ils reprirent le chemin de la maison où le ronflement régulier du poêle ne tarda pas à ôter leurs derniers frissons.

Tu m’as pas parlé de coulemelles tout à l’heure ?

Ah ! J’ai cru que tu n’avais pas entendu ! Oui, en effet ! J’en ai trouvé dans le verger du père Eustache.

T’as de la chance qu’il t’aie pas vu, il aurait grogné pour sûr !

Bah ! Il ne ramasse même pas ses fruits alors …

Tu restes manger ? Je nous fais une omelette !

Non Angie, j’ai rendez-vous cet après-midi.

Rendez-vous ? Avec qui ?

Elle plongea son regard malicieux dans les yeux d’Adelnas.

C’est rien Mémé, tu la connais pas.

M’appelle pas Mémé ! Je LA connais pas ? C’est donc une fille ? Dis donc, ce serait pas la voltigeuse cycliste dont tu m’as parlé il y a quelques temps ? Je te trouve un air louche depuis…

Pffff ! répondit Adelnas.

Il cacha son embarras en détournant la tête. Il n’avait pas envie de parler de ce rendez-vous à sa grand-mère, pas encore. Elle le mettrait en boîte et commencerait à bâtir des châteaux en Espagne avec toute la verve dont elle était capable.

Hmmm ! Il y a anguille sous roche ou même baleine sous gravillons ! Si tu as rendez-vous mon petit, vu qu’il est déjà midi passé, tu vas encore manger avec une seringue ou avaler une infâme pizza racornie dont tu as le secret pour ne pas être en retard ! Il ne faut pas faire attendre la belle pas vrai ? Allez zou, mets le couvert et donne-moi tes coulemelles que je leur fasse un sort.

Et elle disparut dans sa cuisine pour entamer un concert de remue ménage de casseroles et de poêles, prélude à une omelette absolument irrésistible.

Coulemelles

Adelnas s’exécuta. Alors qu’il revenait dans la salle à manger pour déposer le pichet d’eau sur la table, il aperçu sur une étagère un serre tête orné de cornes de renne. Il s’empara de l’objet et le posa sur sa tête. Il se posta dans l’encadrement de la porte de la cuisine :

C’est quoi ça Angie ?

Sa grand-mère leva les nez de ses coulemelles et répondit avec un sourire en coin :

Des cornes de renne. Tu vois bien !

D’accord mais d’où ça sort et qu’est-ce que tu vas en faire ?

Je les ai trouvées au grenier avec les décorations de Noël. Je me suis dit que ce serait drôle de les porter pour aller faire mes courses pendant la période de l’avent. Alors je les ai sorties pour les nettoyer et les essayer !

T’es sérieuse ? Tu vas aller faire tes courses avec des cornes de renne sur la tête ?

Il connaissait la réponse. C’était tout à fait le genre de chose hors cadre que faisait sa grand-mère. Il secoua la tête et ajouta :

T’es vraiment pas comme tout le monde toi !

Puis retirant la coiffe de sa tête il s’approcha et déposa un baiser sur la joue ridée. A cet instant précis son portable sonna :

Ladies and gentlemen, this is Mambo number five !

Puis le rythme dansant de la chanson de Lou Bega envahit la pièce. Adelnas sorti de la cuisine et sauta sur son portable pour prendre l’appel :

Oui ?

Oui comme prévu cet aprèm ! Vers 14h00 c’est bon ?

Je suis chez ma grand-mère là. Son chat était coincé dans une gaine métallique. Je t’expliquerai ! Toi qui aimes les histoires compliquées et improbables tu vas apprécier ! Et toi ?

Comment ça je bronze ? Mais t’es où ?

Toi alors ! Change rien, je t’adore. Si tu veux en sortant on ira boire un coup chez Gérard, à défaut de bronzette ça te réchauffera le corps et le cœur !

Oui, moi aussi ! Biz Biz ! À tout à l’heure !

Les yeux pétillants, Adelnas remit son portable dans sa poche, tandis que sa grand-mère l’observait depuis la porte de la cuisine d’un air amusé.

Je t’adore ? Ah ah ?

Angie !

Oui ? L’omelette attend que tu aies fini de mettre le couvert…

Adelnas dégusta le chef d’œuvre gastronomique de sa grand-mère tout en l’écoutant lui expliquer ce qu’elle comptait faire avec les gaines métalliques qui avaient emprisonné le malheureux Hector. Elle eu la délicatesse de ne pas le questionner à propos de son mystérieux rendez-vous de l’après-midi. Pourtant elle brûlait d’envie d’en savoir plus. Mais elle connaissait bien son petit-fils. Celui-ci ne lâcherait rien tant qu’il ne jugerait pas le moment opportun. Elle l’embrassa tendrement lorsqu’il repartit.

Tu oublies ton sac à dos ! Tu as la tête ailleurs ou quoi ?

Elle le lui tendit malicieusement puis resta sur le seuil de l’entrée avec son sourire espiègle accroché sur les lèvres. Adelnas enfourcha son vélo. Tout en agitant la main vers la silhouette gracieuse qui se tenait sur le perron, il appuya sur les pédales en fredonnant Mambo number five, la chanson favorite de Dodcy alias la voltigeuse cycliste. Il avait rendez-vous !

Isabelle


Production personnelle dans le cadre du troisième défi d’écriture.
Photos : Isabelle Ducau

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Gerard.Sulis
Gerard.Sulis
20 novembre 2017 18 h 16 min

Bonsoir Isabelle,

Je te rassure, Ils sont passés. En coup de vent bien sûr, mais c’est l’apanage de la jeunesse..
Bises