Au début de ce mois, je suis partie me reposer quelques jours au fin fond de l’Isère, à la maison d’hôtes Les Épilobes. Mon mari qui connaît bien et qui partage mon goût pour la nature et pour les plantes, avait trouvé cette adresse sur internet. Une adresse prometteuse puisque Les Épilobes sont situés dans le Valjouffrey, à la limite du Parc National des Écrins et que ce n’est pas qu’une chambre d’hôtes dans un cadre magnifique. Non, c’est aussi une activité d’accueil paysan qui fournit le couvert à ses hôtes et une activité d’herboristerie qui exploite la richesse de la flore locale. Ça ne pouvait que me plaire ! Ni une ni deux, nous avons prévu de partir en vacances en Isère, dans notre propre département !
Arrivée aux Épilobes
Pour trouver les Épilobes, il vous suffit de prendre la Route Napoléon plus prosaïquement dénommée RN85. Cette route qui relie Golfe Juan à Grenoble est un trait d’union entre la Côte d’Azur et les Alpes. Elle suit plus ou moins le trajet qu’avait effectué à pied Napoléon 1er lors de son retour de l’Île d’Elbe. C’est un axe majeur d’accès aux Alpes. Arrivé à La Mure, il faut quitter la Route Napoléon pour bifurquer vers l’est en direction du Valbonnais. Ensuite, rien n’est plus simple, il suffit de poursuivre sa route vers le Valjouffrey. Les Épilobes se trouvent précisément tout au bout de la route dans un petit village dénommé Le Désert.
Alors que nous approchons de notre destination, mon ado préférée commence à montrer quelques signes d’inquiétude.
Mais c’est paumé ici !
Le nom du village ne fait rien pour calmer ses craintes concernant l’éventualité d’un accès aux réseaux de télécommunications. Elle s’empresse de vérifier sur son portable et se rend compte qu’il n’y a ni réseau mobile, ni 4G, rien ! Le Désert !
Une fois entrés dans le village, nous suivons les panneaux qui indiquent « Les Épilobes » L’adresse mentionne 72 chemin des Alaissies, or le chemin en question s’avère être un semblant de ruelle dans lequel il n’est possible d’engager la voiture que sur quelques mètres. Nous décidons alors de nous garer plus loin puis d’aller en reconnaissance à pied. Les filles sont plutôt dépitées par ce coin paumé ! Elles restent dans la voiture pour nous attendre.
Le chemin des Alaissies se transforme bien vite en une sente herbeuse qui grimpe en serpentant entre les maisons. Au bout d’une centaine de mètres Les Épilobes se dressent devant nous. Martine Jacquemin est sur la terrasse lorsque nous arrivons et nous accueille chaleureusement. Je lui explique que nous sommes venus en reconnaissance et que les filles nous attendent dans la voiture. Je lui fait part des angoisses de mon ado préférée quant à la possibilité de se connecter au réseau. Elle nous rassure immédiatement avec un grand sourire en nous disant que bien sûr, il y a le Wifi et le réseau mobile ! Nous décidons de ne rien dire à mon ado préférée pour voir sa réaction. Oui je sais, je suis une mère indigne !
Nous redescendons à la voiture pour prendre filles et bagages. J’annonce à mon ado préférée qu’il faut continuer à pied parce que le chemin n’admet que les piétons et les mulets ! Elle écarquille les yeux et répond :
Oh my god !
Chargés comme des mulets justement, nous reprenons tous les quatre le chemin des Alaissies pour gagner Les Épilobes. Mon ado n’arrête pas de dire :
Mais c’est où ? On va passer une semaine ici ?
Lorsque nous arrivons Martine nous attend. C’est elle qui rend le sourire à mon ado préférée en lui annonçant qu’elle n’est pas coupée du monde. Puis nous rencontrons son époux, Gérard Jacquemin qui règne en maître dans la cuisine et se charge de régaler ses hôtes avec une cuisine riche en saveurs. Martine nous montre nos chambres et nous pouvons nous installer et découvrir la vue magnifique qui s’offre depuis la terrasse et les fenêtres des chambres.
Les Épilobes, une maison d’hôtes mais pas que
La maison est ancienne, dans la famille de Gérard depuis longtemps. Construite en 1804, elle a été entièrement rénovée avec des matériaux de qualité et respectueux de l’environnement.
La maison a toujours accueilli du monde, de la famille, de grandes tablées. Lancer cette activité de chambres et table d’hôtes c’était aussi faire perdurer cette tradition d’accueil explique Gérard.
Les murs sont épais, plus d’un mètre par endroit. La maison est bien assise sur ses fondations de pierre face au magnifique paysage du col de la Vaurze. Les pièces du bas sont abritées sous une voûte de pierre qui permettait de préserver les habitants et leurs biens en cas d’incendie. L’entrée qui dessert un cabinet de toilette et héberge le poêle en fonte, la cuisine où tout le monde prend ses repas et où Gérard officie et la chambre des hôtes occupent le rez-de-chaussée.
Un escalier de meunier permet d’accéder au premier étage où se trouvent deux chambres, la salle de bain et les toilettes sèches. Ces toilettes sont destinées à être utilisées la nuit uniquement, à l’exclusion de la grosse commission pour laquelle les toilettes conventionnels du rez-de-chaussée doivent être utilisés. Un deuxième escalier donne accès à une mezzanine où plusieurs couchages peuvent être installés et où un poêle à granulé réchauffe les dormeurs lorsque viennent les premiers frimas.
Toute la maison est chauffée au bois et un gros poêle en fonte trône dans l’entrée. Devant la maison, la réserve de bois, domaine de prédilection de la chatte Chatterton, laisse deviner la rigueur du climat. Cependant, l’hiver les résidents sont rares. Il n’y a ni stations de ski à proximité ni activités hivernales disponibles, seules quelques personnes à la recherche de calme trouvent encore le chemin des Épilobes sous la neige. Gérard et Martine vivent en harmonie avec la nature : l’hiver l’activité des Épilobes se ralentit tout comme la vie à l’extérieur. C’est le temps de la lecture, de l’écriture, de l’introspection ou des bricolages.
L’été, un des atouts de la maison c’est sa terrasse : une terrasse en bois sous laquelle se cache la serre-laboratoire de Martine. Une terrasse qui enfle sa voile d’ombrage sous le vent et laisse croire au vacancier appuyé à la rambarde qu’il s’est embarqué sur un navire à destination du col de la Vaurze si proche et pourtant à trois heures de marche. Une terrasse où allongé sur la chaise longue en filtrant le soleil à travers les paupières, on pourrait se croire sur le pont d’un bateau. Mais lorsqu’on ouvre les yeux c’est une mer de fleurs que l’on aperçoit au-delà du bastingage !
Le jardin est un écrin pour la maison. Un jardin luxuriant ou les fleurs ornementales côtoient les plantes médicinales et où les légumes se cachent dans les corolles multicolores. Il semble qu’ici les plantes soient conscientes qu’elles n’ont que peu de temps pour prospérer. Alors elles poussent, exubérantes et vigoureuses pour pouvoir fleurir et fabriquer les graines qui assureront la survie de l’espèce l’année suivante.
Au fond de ce jardin, dissimulé en partie par le fouillis des fleurs et des légumes, se trouve le poulailler. Coquette et Rousette, grandes pourvoyeuses d’œufs, ne dédaignent pas le carré de salades lorsque Martine les laisse gambader en liberté dans le jardin.
Le temps du séjour, ma petite s’est improvisée gardeuse de poules et a pris aussi grand plaisir à leur apporter du grain. Mais les malicieuses gallinacées sont imbattables lorsqu’il s’agit de tromper la vigilance de qui que ce soit pour aller faire un carnage dans les salades du potager!
La vie aux Épilobes
Lorsque vous posez vos bagages aux Épilobes, attendez-vous à être accueilli comme si vous étiez un membre de la famille. Si vous n’aimez pas le contact avec les gens et le concept des chambres d’hôtes, vous ne pourrez pas apprécier votre séjour. Les Épilobes c’est un peu comme une maison de vacances où tout le monde partage tout. Une salle de bain et des toilettes communs à tous, les habitants de la maison comme les hôtes de passage, exactement comme lorsque vous êtes accueilli dans votre famille.
Martine et Gérard ne font pas que partager leurs repas avec vous, ils partagent aussi leurs passions : montagne, faune, flore ou cuisine sont les sujets sur lesquels Martine et Gérard ont toujours des anecdotes à raconter ou des conseils avisés à prodiguer.
Le petit déjeuner est servi à l’heure qui convient à chacun, ce peut être très tôt pour les randonneurs qui utilisent les Épilobes comme étape ou plus tard pour les vacanciers en mode cool comme nous. Pains et confitures maisons, œufs des poulettes du jardin, Coquette et Roussette et lait des biquettes du village ! Un véritable bonheur pour les papilles !
Pour les repas du midi, Gérard prépare sur demande un pique nique à emporter constitué le plus souvent d’un fruit, d’une salade et de pain et fromage.
Le soir, nous avons droit à un repas délicieux, riche en saveurs et facile à digérer pour que dit-il les hôtes passent une bonne nuit !
Peu de viande au menu, Gérard essaie de cuisiner le plus possible végétarien. En une semaine nous avons mangé une fois des truites du Valbonnais (délicieuses) et une fois un poulet fermier (aux girolles, mais j’en reparlerai dans un prochain billet). Il utilise à merveille les légumineuses et les plantes comme les épinards sauvages, les herbes aromatiques qui prospèrent joyeusement dans le jardin ou les fleurs qui viennent égailler la salade verte du potager par touches colorées en bleu bourrache ou orange soucis.
La reine incontestée des plantes c’est Martine. Elle est herbaliste et nous a concocté chaque soir des tisanes savoureuses et bienfaitrices. Formée à l’École Lyonnaise de Plantes médicinales et des Savoirs Naturels elle est spécialiste des plantes médicinales. Elle fabrique dans son laboratoire hydrolats, baumes et autres préparations à base de plantes qu’elle part récolter autour du village. Elle organise aussi des stages d’herborisation ou de préparation de cosmétiques naturels. Elle est vraiment passionnée par les plantes et partage ses connaissances avec grand plaisir.
Les repas sont l’occasion d’échanges riches entre les différents résidents et avec nos hôtes. Chacun raconte sa journée et les anecdotes familiales émaillent la conversation. Même après la tisane du soir, les discussions se poursuivent autour de la table de la cuisine à refaire le monde ou à prévoir l’itinéraire du lendemain.
J’ai remarqué que toutes les personnes que nous avons croisé pendant notre séjour étaient intéressantes et sympathiques. Francis, l’un des résidents que nous avons rencontré sur la fin de notre séjour avait une théorie séduisante à ce sujet. Selon lui, les cons ne supportent pas l’altitude et de ce fait, il est rare d’en trouver au-delà de 1500m. Le Désert se trouve à 1275m mais ce n’est pas un endroit où l’on passe, c’est un endroit où l’on vient. Pour aller au Désert en Valjouffrey, il faut le faire exprès, il faut le vouloir et donc, cela suppose une certaine motivation, un état d’esprit apparemment peu compatible avec la bêtise et l’étroitesse d’esprit qui caractérise ceux que Francis appelle les cons.
Je ne cautionne pas l’utilisation des grossièretés comme je vous l’ai déjà expliqué, mais là, il s’agit de la théorie de Francis, pas de la mienne. Je ne fais que répéter ce qu’il a dit, donc comme dit ma petite, j’ai le droit ! Je partage son avis et suis d’accord pour reconnaître que les endroits peu accessibles ne sont guère fréquentés par les imbéciles. Bref, si vous voulez fuir quelques temps les stupides et les bornés, venez aux Épilobes.
La vie aux Épilobes c’est Martine qui vous fait visiter son laboratoire, son domaine réservé qui se cache sous la terrasse. Un antre entièrement vitré que le soleil inonde de sa lumière tamisée par des stores en raphia.
Une pièce où glougloute l’alambic, où les senteurs mêlées des plantes chatouillent les narines du visiteur, où des paniers recèlent les trésors végétaux récoltés par Martine et où des flacons multicolores conservent les précieux hydrolats élaborés par l’herbaliste passionnée.
La vie aux Épilobes, c’est aussi Gérard qui vous appelle pour observer une nichée de chardonnerets dans un arbre en contre-bas de la terrasse ou un chamois dans les éboulis sur le versant d’en face. Gérard encore qui nous fait revivre à travers le visionnage de films la vie du village au temps des moissons à la main, l’histoire de la Simone ou les prouesses de chasse du circaète, le rapace chasseur de serpents !
Et finalement, le temps du départ
Tout a une fin. Il a bien fallu quitter ce lieu paisible et délicieux. Nous avons découvert des paysages magnifiques dans notre propre département, à peine à deux heures de route de notre maison. Je ferai un autre billet pour vous donner un aperçu de la beauté du site et de la richesse de la flore.
A la fin du séjour, nous avons eu l’impression de quitter la famille. Les filles ne voulaient pas partir ! Mon ado préférée était complètement conquise par la gentillesse de nos hôtes. Ma petite qui adore gambader dehors était au paradis avec les poules et le jardin. Martine serrait les filles dans ses bras en leur disant :
Oh mes pépettes, je vous adore vous êtes géniales !
Un dernier passage par le laboratoire de Martine pour acheter une eau de rose sauvage, un hydrolat de romarin et un baume de soin pour le visage. Les recommandations de Martine pour préparer une macération solaire et nous reprenons le sentier en direction de la voiture, chargés comme des baudets, le sourire aux lèvres mais un petit pincement au cœur à l’idée de laisser derrière nous ce lieu enchanteur.
Après avoir déposé les bagages à la voiture nous allons à la fromagerie pour un dernier achat. Difficile de choisir entre les fromages de chèvre aux myrtilles, au poivre, au cumin, la tome mi-chèvre… Allez zou, ce sera un de chaque !
Au moment d’embarquer dans la voiture des cris nous font lever les yeux vers les Épilobes : deux silhouettes agitent les bras comme des navigateurs qui aperçoivent la terre après de long mois sur l’océan. Ce sont Martine et Gérard qui nous saluent une dernière fois depuis le pont de leur vaisseau du Désert, tandis que la voile d’ombrage accroche la lumière du soleil matinal.
Merci pour ce séjour, pour l’accueil, pour la cuisine, les conseils et les bonnes tisanes et merci pour cet accueil paysan de qualité qui mérite grandement le label Esprit du Parc décerné tout récemment aux Épilobes par le Parc National des Écrins. Nous reviendrons, c’est certain !
Isabelle.
Photos : Isabelle Ducau
C’est bien ainsi que c’est déroulé le séjour de cette charmante famille que nous avons accueillie début août. Une fois de plus aux Epilobes, les rencontres ont été fructueuses et les échanges riches d’ humanité et d’empathie. Merci Isabelle pour ce reportage haut en couleur et en détails croustillants. Les photos reflètent bien l’atmosphère du lieu, vaisseau de pierre sur la houle des montagnes. Que ce petit coin de vie et de sérénité vous accompagne désormais toujours et partout. Merci mille fois merci!
Bonjour Gérard,
J’ai pris grand plaisir à écrire cet article qui m’a fait revivre la semaine passée chez vous ! Mon deuxième plaisir est de recevoir ta gratitude. A bientôt et bises à vous deux !
Isabelle.
Cet article donne très envie… mais début octobre, est ce encore possible. Les photos de Jacques Poulard m’ont fait rêver de l’automne…